12.
Gwenda se réveilla glacée. On était au milieu de l’été, mais le temps était frais et elle n’avait sur elle qu’une robe légère. Le ciel virait du noir au gris. Dans cette faible lueur de l’aube, elle scruta la clairière : pas un mouvement alentour.
L’envie de faire pipi la tenaillait. Elle songea à se soulager sur place, quitte à tremper sa robe et à se rendre la plus dégoûtante possible ! Mais elle chassa aussitôt cette pensée. Agir ainsi équivaudrait à reconnaître sa défaite, et il n’était pas question pour elle d’abandonner la lutte.
Que faire, alors ?
Étendu près d’elle, Alwyn dormait à poings fermés. La vue du long fourreau pendu à sa ceinture fit germer une idée dans l’esprit de Gwenda. Aurait-elle la vaillance de la mettre à exécution ? Elle s’en persuada, refusant de se laisser aller à sa peur.
Les liens autour de ses chevilles n’entravaient pas ses jambes, elle put donc donner un coup de pied à Alwyn, puis, comme il ne réagissait pas, recommencer. À la troisième tentative, il se redressa sur son séant. « C’était toi ? marmonna-t-il d’une voix pâteuse.
— J’ai besoin de faire pipi.
— Pas dans la clairière, Tarn l’interdit. Pour pisser, c’est vingt pas dans les bois. Cinquante pour déposer sa merde.
— Les hors-la-loi ont quand même des lois ? »
L’ironie lui passa au-dessus de la tête et il resta à scruter Gwenda. Elle comprit qu’il n’était pas intelligent. C’était une bonne chose, mais il était costaud et hargneux. Elle devrait agir avec prudence.
Elle dit : « Je ne peux aller nulle part, attachée comme je suis. »
Tout en maugréant, il défit la corde autour de ses chevilles. La première partie de son plan menée à bien, Gwenda se sentait à présent encore plus effrayée.
Non sans mal, elle parvint à se mettre debout. Après ces heures d’immobilité forcée, les muscles de ses jambes tiraient douloureusement. Elle fit un pas, trébucha et retomba sur les fesses. « Ce n’est pas facile, avec les mains attachées ! »
Il ignora sa plainte.
La deuxième partie du plan n’avait pas fonctionné. Il fallait trouver autre chose.
S’étant relevée, elle se dirigea vers les arbres, suivie d’Alwyn qui comptait ses pas sur ses doigts. Arrivé au bout de la première dizaine, il recommença. À la fin de la deuxième dizaine, il déclara : « C’est assez loin. »
Elle tourna vers lui un visage perdu. « Je ne peux pas soulever ma robe. »
Allait-il tomber dans le piège ?
Il la regardait fixement, l’air hébété. Elle entendait presque les pensées rouler dans son cerveau comme les grains sous la meule. Plusieurs solutions s’offraient à lui : tenir sa robe soulevée pendant qu’elle pisserait comme une mère aidant son bébé, mais il y avait des chances pour qu’il trouve cela humiliant, ou bien lui délier les mains et, alors, elle en profiterait pour s’élancer à toutes jambes dans les bois. Non, ça ne marcherait pas. Elle était petite et fourbue, elle avait des crampes. Avec ses longues jambes musclées, il n’aurait aucun mal à la rattraper. Alwyn dut se dire la même chose car il libéra ses poignets.
Gwenda s’empressa de baisser la tête pour lui dissimuler son triomphe.
Elle se frotta les bras pour activer la circulation. Elle aurait volontiers planté ses doigts dans les orbites du brigand pour lui arracher les prunelles ! À la place, elle le remercia avec gratitude comme s’il venait d’accomplir un acte de bonté pure.
Il ne dit rien. Les yeux braqués sur elle, il attendait.
Elle avait escompté qu’il se détournerait lorsqu’elle relèverait sa robe et s’accroupirait, mais il restait à la fixer avec des yeux encore plus intenses. Elle soutint son regard, ne voulant pas montrer sa honte à accomplir devant lui l’un des actes les plus naturels. Elle vit sa bouche s’entrouvrir et entendit sa respiration s’accélérer.
Le plus dur restait à faire.
Elle se releva lentement, lui laissant le temps de bien la regarder avant de laisser retomber sa robe. Le voyant passer sa langue sur ses lèvres, elle comprit qu’elle avait gagné la partie.
Elle s’avança vers lui et s’immobilisa. « Seras-tu mon protecteur ? » dit-elle en prenant une voix de petite fille qui ne lui vint pas naturellement.
Il gardait le silence, ne manifestait aucun soupçon. Soudain, il saisit l’un de ses seins et serra brutalement les doigts.
Elle eut un hoquet de douleur. « Pas si fort ! » Elle prit sa main dans la sienne et la déplaça contre sa poitrine en frottant doucement pour que le mamelon se redresse. « Sois plus doux. C’est mieux quand tu es plus doux. » Il grogna, mais adoucit son geste.
Saisissant à pleines mains le col de sa robe, il dégaina son poignard dans l’évidente intention de découper le tissu. La pensée de se retrouver nue terrorisa Gwenda. Surtout, cela n’arrangerait pas ses affaires. Las, le couteau faisait bien un pied de long et un récent affûtage faisait luire sa lame pointue. Elle emprisonna le poignet d’Alwyn entre ses doigts légers. « Inutile d’utiliser ton couteau, chuchota-t-elle. Regarde. » S’étant reculée d’un pas, elle défit sa ceinture et, d’un mouvement rapide, fit passer sa robe par-dessus sa tête. Elle ne portait rien en dessous.
Ayant étendu son vêtement par terre, elle s’allongea et s’efforça de sourire au brigand. Ce ne fut certainement qu’une horrible grimace. Elle écarta les jambes.
Il n’hésita qu’un bref instant.
Le couteau serré dans sa main droite, il baissa son pantalon et s’agenouilla entre ses cuisses. Pointant la lame vers son visage, il l’avertit : « Au moindre ennui, je te lacère la joue.
— Ça n’arrivera pas », le rassura-t-elle tout en essayant d’imaginer les mots qu’un homme de sa trempe pouvait vouloir entendre d’une femme en pareil moment. « Mon grand et fort protecteur ! »
Pas de réaction.
Se laissant tomber sur elle, il se mit à donner des coups de reins. « Pas si vite », dit-elle et elle serra les dents. Il l’écrasait en poussant de toutes ses forces et si maladroitement. Glissant sa main entre ses cuisses, elle le guida en elle, levant les jambes le plus haut possible pour faciliter l’entrée.
Dressé au-dessus d’elle, en appui sur ses bras, il déposa le poignard dans l’herbe près de la tête de Gwenda, recouvrant la poignée de sa main droite. Puis, tout en gémissant, il entreprit de se déplacer en elle. Elle accompagnait ses mouvements, continuant à jouer la bonne volonté, ne quittant pas des yeux son visage. S’interdisant de jeter un coup d’œil au poignard, elle attendait son moment, à la fois horrifiée et dégoûtée, mais calme et calculatrice en même temps.
Il avait fermé les yeux. En appui sur ses bras tendus, il levait la tête comme un animal flairant la brise. Elle risqua un regard vers le couteau. Sa main s’était légèrement déplacée et ne recouvrait plus qu’en partie la poignée. Arriverait-elle à s’en saisir ? À quelle vitesse réagirait-il ?
Elle reporta les yeux sur son visage. Sa bouche se tordait en un rictus concentré. Ses cognées s’accéléraient. Elle ajusta son mouvement au sien.
Une sorte de lumière l’inonda à l’intérieur et elle fut consternée d’éprouver du plaisir, furieuse contre elle-même. Cet homme était un bandit, un assassin, il ne valait pas mieux qu’une bête ! Il projetait de la prostituer pour six sous la passe. Elle ne s’était résolue à se donner à lui que pour sauver sa vie ! Pourtant, elle se sentait devenir de plus en plus humide à mesure qu’il accélérait le rythme de ses poussées.
À quelques instants du paroxysme, elle comprit que c’était maintenant ou jamais. Il poussa un gémissement qui ressemblait à un cri de défaite. Le moment était venu.
Elle s’empara du couteau sous sa main. L’expression d’extase peinte sur ses traits ne se modifia pas : il n’avait pas remarqué son mouvement. La pensée qu’il stoppe son geste au dernier instant la terrifiait. Se redressant brusquement, elle projeta les épaules en avant, la lame pointée droit sur lui. Il avait perçu son mouvement et ouvert les yeux. La surprise et la peur se répandirent sur ses traits. Elle plongea de toutes ses forces le couteau dans son cou. La lame s’enfonça juste en dessous de sa mâchoire. Elle se maudit, elle avait raté la partie la plus vulnérable de la gorge, la trachée. Il hurla de douleur et de rage. Il avait encore des forces. Elle comprit alors qu’elle était plus près de la mort qu’elle ne l’avait été de toute sa vie.
Agissant par instinct, elle s’écarta de lui et, de façon tout aussi impulsive, elle lui assena un coup au creux du coude. Son bras fléchit sans qu’il puisse le retenir et il pesa de tout son poids sur le poignard qu’elle maintenait enfoncé dans sa gorge. La lame pénétra dans sa tête. Un jet de sang jaillit de sa bouche ouverte, éclaboussant le visage de Gwenda. Elle rejeta la tête sur le côté sans lâcher le manche. La lame rencontrait une résistance. Elle dévia au bout d’un moment et s’enfonça plus loin. L’œil de l’homme parut sur le point d’exploser et la lame émergea de l’orbite dans un geyser de sang et de cervelle. Le bandit s’effondra sur elle, mort ou presque. Le souffle coupé, elle était dans l’incapacité de remuer. Elle avait l’impression d’être coincée sous un arbre abattu.
À sa grande horreur, elle le sentit éjaculer en elle.
Une crainte superstitieuse s’empara d’elle. L’homme était plus effrayant mort que lorsqu’il la menaçait de son couteau. Prise de panique, elle se tortilla en tous sens.
Parvenue à se dégager, elle se remit sur pieds en vacillant. Elle haletait. Le sang de cet homme dégoulinait le long de ses seins et sa semence coulait entre ses cuisses. Elle jeta un coup d’œil au camp des brigands. L’un d’eux était-il éveillé et avait-il entendu Alwyn crier ? Et s’ils avaient tous été endormis, ses cris avaient-ils réveillé quelqu’un ?
Tremblant de tous ses membres, elle enfila sa robe et boucla sa ceinture. Sa bourse y était toujours accrochée ainsi que son canif, qu’elle utilisait principalement pour manger. Elle osait à peine quitter Alwyn des yeux, redoutant qu’il vive encore, voulant l’achever et ne pouvant s’y résoudre. Un bruit dans la clairière l’immobilisa. Elle devait partir en toute hâte. Regardant autour d’elle pour s’orienter, elle prit la direction de la route.
Une sentinelle se tenait près du grand chêne, se rappela-t-elle, affolée. Elle marcha tout doucement dans les bois, veillant à ne pas faire de bruit. Arrivée en vue de l’arbre, elle aperçut la sentinelle – Jed, si son souvenir était bon. Il dormait à même le sol. Elle passa devant lui sur la pointe des pieds, usant de toute sa volonté pour ne pas se mettre à courir. Jed ne bougea pas.
Ayant retrouvé le layon, elle le suivit jusqu’au ruisseau. Personne ne semblait l’avoir prise en chasse. Elle nettoya le sang de son visage et de sa poitrine et éclaboussa d’eau froide ses parties intimes. Après quoi, elle but longuement car une marche pénible l’attendait.
Quelque peu calmée, elle reprit le chemin, l’oreille aux aguets. Dans combien de temps les bandits trouveraient-ils le corps d’Alwyn ? Elle n’avait pas même tenté de le dissimuler. Quand ils se rendraient compte qu’elle l’avait tué, ils se lanceraient à sa poursuite. Ils s’étaient défaits d’une vache pour l’acheter à son père, et une vache valait bien douze shillings, la moitié de ce que gagnait Pa en un an en tant que journalier.
Elle atteignit enfin la route. Pour une femme, y marcher était presque aussi dangereux que de s’aventurer dans les bois. La forêt était infestée de bandes de hors-la-loi, comme celle de Tarn l’Insaisissable. Quantités d’hommes y rôdaient en permanence, seuls ou en groupe – écuyers, paysans, hommes d’armes. Profiter d’une pauvre femme sans défense ne serait pas pour leur déplaire. Ce qui importait, pour l’heure, c’était de mettre la plus grande distance possible entre Sim le colporteur et elle. Conserver une vive allure était donc primordial.
Mais où aller ? Retourner à Wigleigh ? Impossible car Sim viendrait l’y rechercher, et Dieu sait comment son père réagirait. Non, elle devait se cacher chez une personne de confiance. Caris, voilà qui lui viendrait en aide.
Elle prit donc la direction de Kingsbridge.
Le temps était clément, mais la route embourbée après de si longs jours de pluie ne facilitait pas la marche. Parvenue au sommet d’une colline, elle regarda en arrière. La vue s’étendait sur une demi-lieue environ. Loin, très loin, elle repéra un point jaune progressant sur la route.
Sim le Colporteur !
Elle prit ses jambes à son cou.
*
L’affaire de Nell la folle devait être entendue dans le transept nord de la cathédrale, samedi à midi. L’évêque Richard présidait la cour constituée de prélats. Le prieur Anthony était assis à sa droite et l’archidiacre Lloyd siégeait à sa gauche. Assistant de l’évêque, ce prêtre à la mine sévère effectuait, disait-on, tout le travail de l’évêché.
Nombre d’artisans et d’ouvriers finissant ce jour-là le travail à midi, les habitants de la ville étaient venus en foule, alléchés par ce procès en hérésie. C’était un divertissement apprécié et il ne s’en était pas tenu à Kingsbridge depuis des années. Dans l’enceinte du prieuré, la foire s’achevait. Les commerçants démontaient leurs étals et remballaient les invendus ; les acheteurs se préparaient à reprendre la route ou organisaient le transport de leurs marchandises à bord des radeaux qui descendraient le fleuve jusqu’au port maritime de Melcombe.
De sombres pensées agitaient Caris tandis qu’elle attendait l’ouverture du procès. Que faisait Gwenda en ce moment ? À coup sûr, le colporteur l’obligerait à coucher avec lui, mais des choses bien pires pouvaient lui arriver. À quoi d’autre pouvait-il la forcer en tant qu’esclave ? Gwenda tenterait nécessairement de s’échapper, Caris n’en doutait pas un instant. Y parviendrait-elle ? En cas d’échec, quel serait son châtiment ? Saurait-on jamais ce qui lui était arrivé ?
La semaine tout entière s’était déroulée de bien étrange façon. Buonaventura Caroli n’était pas revenu sur sa décision : les acheteurs florentins ne remettraient plus les pieds à la foire de Kingsbridge – du moins, tant que le prieuré n’aurait pas amélioré les conditions de vente. Edmond et les lainiers les plus importants avaient passé la moitié de la semaine enfermés avec le comte Roland. Quant à Merthin, il continuait d’être d’humeur aussi incompréhensible, taciturne et maussade. Et pour couronner le tout, la pluie avait repris.
Tête nue et sans chaussures, vêtue uniquement d’un long gilet attaché sur le devant qui laissait voir ses épaules décharnées, Nell fut traînée à l’intérieur de l’église par John, le sergent de ville, et Murdo, le frère lai. Elle ne se débattait presque plus entre les mains des deux hommes, elle hurlait seulement des imprécations.
Quand enfin elle se tut, des citadins s’avancèrent l’un après l’autre pour témoigner qu’ils l’avaient entendue invoquer le démon. En quoi, ils disaient la stricte vérité. Nell, en effet, envoyait les gens au diable pour un oui ou pour un non – qu’on lui refuse l’aumône, qu’on lui bloque le passage, qu’on porte un joli manteau ou même sans raison.
Chaque témoin relata un malheur qui lui était survenu après avoir été maudit. La femme d’un orfèvre avait perdu une broche de valeur ; un aubergiste avait vu périr toutes ses poules d’un coup ; une veuve avait eu un méchant furoncle au postérieur. Si cette dernière histoire souleva les rires de l’assistance, elle eut surtout pour résultat de convaincre les indécis que Nell était bel et bien une sorcière, celles-ci étant connues pour leurs facéties malveillantes.
Pendant l’audition, Merthin vint se placer près de Caris. « C’est tellement bête ! lui souffla-t-elle, indignée. Dix fois plus de personnes pourraient s’avancer et témoigner que rien de mauvais ne leur est arrivé après avoir été maudits. »
Merthin haussa les épaules. « Les gens croient ce qu’ils veulent bien croire.
— Les gens du commun, peut-être, mais l’évêque et le prieur ? Ils ont de l’instruction, eux.
— J’ai quelque chose à te dire », chuchota Merthin.
Caris se réjouit. Allait-elle connaître les raisons de sa mauvaise humeur ? Se tournant vers lui, ce qu’elle n’avait pas fait jusque-là, elle découvrit qu’il avait tout le côté gauche du visage tuméfié. « Qu’est-ce qui t’est arrivé ? »
À ce moment, un rire énorme secoua la foule, provoqué par une repartie de Nell. L’archidiacre Lloyd dut réclamer le silence à plusieurs reprises. Lorsqu’il lui fut enfin possible de se faire entendre de Caris, Merthin déclara : « Pas ici. Est-ce qu’on peut aller dans un endroit tranquille ? »
Elle faillit quitter la cathédrale avec lui et se ravisa au dernier instant. Durant toute la semaine, Merthin l’avait blessée par sa froideur inexpliquée. Pour quelle raison devrait-elle danser soudain au son de son tambourin ? Pourquoi était-ce à lui de décider de l’heure et du lieu de cette conversation ? Il l’avait fait attendre cinq longues journées. À son tour de le faire attendre une heure ou deux. « Pas tout de suite, répondit-elle.
— Pourquoi ?
— Parce que cela ne me sied pas. Et maintenant, tais-toi ! J’écoute. » Elle se détourna de lui, mais eut le temps de voir son visage se fermer et elle regretta sa sécheresse. Tant pis, c’était trop tard. Il n’était pas question qu’elle lui fasse des excuses.
Les témoins avaient terminé. L’évêque Richard prit la parole : « Femme, dis-tu que le diable règne sur la terre ? »
La question scandalisa Caris. Les hérétiques adoraient Satan.
Ils lui prêtaient toute juridiction sur la terre, réservant à Dieu la seule prééminence du ciel. Comment une pauvre folle qui ne savait pas lire pouvait-elle comprendre un credo aussi élaboré ? Que Richard reprenne à son compte les ridicules accusations du frère Murdo, c’était tout simplement une honte !
« Tu peux t’enfoncer la queue dans le cul ! » répliqua Nell d’une voix forte et la foule éclata de rire, ravie de l’insulte brutale lancée à l’évêque.
Celui-ci répondit : « Si telle est la défense de l’accusée...
— Quelqu’un, me semble-t-il, devrait parler en sa faveur », intervint l’archidiacre, s’exprimant avec respect bien qu’il n’éprouve visiblement aucune timidité à corriger son supérieur. Paresseux comme il l’était, Richard devait compter sur lui pour lui rappeler les règles.
Richard promena les yeux sur l’assistance. « Qui veut prendre la défense de Nell ? » demanda-t-il avec autorité.
Personne ne se présenta. Caris attendit. On ne pouvait pas laisser une telle chose se produire. Quelqu’un devait montrer toute l’absurdité de cette procédure. Comme personne ne se décidait, elle s’avança et dit : « Nell est folle, tout le monde le sait. »
Les gens s’entre-regardèrent, curieux de voir qui avait la bêtise de prendre le parti de l’accusée. Un murmure parcourut la foule, mais peu de gens s’étonnèrent : Caris était connue de presque toute l’assemblée et réputée pour être fantasque.
Le prieur Anthony se pencha vers l’évêque pour lui souffler quelques mots à l’oreille. Richard déclara : « Caris, la fille d’Edmond le Lainier, nous indique que la femme accusée est folle. Nous en étions venus tout seuls à cette conclusion. »
Piquée par son ton sarcastique, Caris insista : « Nell n’a aucune idée de ce qu’elle raconte ! Elle invoque aussi bien le diable ou les saints, la lune ou les étoiles. Ses paroles n’ont pas plus de sens que l’aboiement d’un chien. La châtier reviendrait à pendre un cheval parce qu’il a henni au passage du roi. »
Manifester son dédain en s’adressant à un représentant de la noblesse n’était pas chose prudente et Caris le savait, mais sa colère était trop grande.
Un murmure d’approbation s’éleva d’une partie de la foule, enchantée à l’idée d’assister à un débat animé.
« Vous avez entendu des témoins relater les dommages qu’ils ont subis, suite à ses malédictions.
— J’ai perdu un penny hier, riposta Caris. J’ai fait cuire un œuf et il était pourri. Quant à mon père, il n’a pas fermé l’œil de la nuit tellement il toussait. Pourtant, personne ne nous avait maudits. Dans la vie, tout ne va pas toujours comme on le souhaiterait. »
À ces mots, nombreux furent ceux qui hochèrent la tête d’un air dubitatif. La plupart des gens se plaisaient à voir une influence maligne derrière toute infortune, grande ou petite.
Le prieur, qui connaissait les opinions de Caris pour avoir déjà débattu avec elle, se pencha en avant. « Assurément, tu ne tiens pas le Seigneur notre Dieu pour responsable de nos maladies, de nos malheurs et de nos deuils ?
— Non...
— Qui l’est alors, s’il ne l’est pas ? »
Caris rétorqua, imitant le ton précieux de son oncle : « Assurément, vous ne croyez pas que tous nos malheurs dans la vie relèvent exclusivement de Dieu ou de Nell la folle ? »
Ignorant les liens de parenté unissant Caris et Anthony, l’archidiacre Lloyd intervint brutalement : « Parle avec respect quand tu t’adresses au prieur. » Un rire parcourut l’assistance : on connaissait le caractère pincé du prieur et l’esprit rebelle de sa nièce.
« Je ne crois pas que Nell soit dangereuse, conclut Caris. Folle, certainement. Mais inoffensive. »
Frère Murdo bondit soudain sur ses pieds. « Monseigneur, gens de Kingsbridge, mes amis, lança-t-il de sa voix sonore. Le Malin est partout parmi nous et nous invite à pécher, à mentir, à nous vautrer dans la nourriture et dans la boisson, dans les vantardises et dans la luxure. » C’était le genre de discours que la foule appréciait : le ton rédhibitoire sur lequel le frère lai décrivait les péchés appelait à l’imagination des scènes délicieuses. Il enchaîna d’une voix de plus en plus forte : « Mais de même que le cheval ne peut marcher dans la boue sans y laisser la trace de ses sabots, de même que la souris ne peut se frayer un chemin sur une lisse motte de beurre sans y laisser le souvenir de ses griffes, de même que le coureur de jupons ne peut abuser d’une femme et déposer sa vile semence dans son ventre sans qu’elle ne se mette à grossir, de même le Malin ne peut faire autrement que de laisser sa marque. Il ne peut pas passer inaperçu ! »
Et la foule de manifester son approbation par des cris. Tout le monde comprenait l’intention du frère lai, Caris comme les autres.
« Nous reconnaissons les serviteurs du Malin à la marque qu’il laisse sur eux. Il aspire leur sang chaud comme un enfant s’abreuve du lait délicieux des seins gonflés de sa mère. Et, comme l’enfant, il lui faut une mamelle à téter : un troisième sein ! »
Captivée, l’assistance buvait ses paroles, Caris s’en rendait parfaitement compte. Il débutait chaque phrase d’une voix tranquille, étouffée, qui enflait de plus en plus à mesure que s’ajoutaient les comparaisons, et, ce faisant, il poussait à son paroxysme l’émotion de la foule qui répondait à son discours avec ardeur, l’écoutant en silence aussi longtemps qu’il parlait puis hurlant son approbation dès qu’il se taisait.
« Et la marque du diable est de couleur foncée, striée comme un mamelon. Elle forme une bosse sur la peau claire qui l’entoure. Elle peut se trouver sur n’importe quel endroit du corps, parfois même dans la douce vallée qui sépare les seins d’une femme, et son apparence imite cruellement l’aspect normal. Mais le diable aime surtout la laisser dans les endroits les plus secrets du corps : dans l’aine, sur les parties intimes, notamment...
— Merci, frère Murdo, le coupa l’évêque en haussant le ton. Tout le monde a compris. Vous demandez à ce que le corps de cette femme soit examiné pour voir si le diable y a laissé sa marque ?
— Oui, monseigneur, pour...
— C’est bon. Inutile de débattre plus longtemps. Vous avez bien défendu votre point de vue. » Promenant les yeux autour de lui, il ajouta : « Mère Cécilia est-elle parmi nous ? »
La mère supérieure occupait une place sur un banc à côté des membres du tribunal, entourée de sœur Juliana et d’autres religieuses de rang élevé. Nell devant être examinée dans sa nudité, seules des femmes pouvaient s’en charger. Il était donc normal que cette tâche soit dévolue aux religieuses.
Caris les plaignit de tout cœur. Car si les gens des villes, pour la plupart, se lavaient le visage et les mains chaque jour, ils ne s’occupaient des parties plus odorantes de leur corps qu’une fois par semaine. Rituel indispensable, le bain était considéré comme dangereux pour la santé et l’on n’y sacrifiait au mieux que deux fois l’an, pour des occasions bien précises. Nell la folle, quant à elle, ne se lavait plus depuis longtemps. Son visage était crasseux, ses mains dégoûtantes, et elle sentait aussi mauvais qu’un tas de fumier.
Cécilia se leva. Richard ordonna : « Conduisez cette femme dans une salle individuelle. Déshabillez-la et examinez son corps soigneusement. Puis revenez nous rapporter vos observations en toute honnêteté. »
Les religieuses se levèrent aussitôt et s’avancèrent vers Nell. Cécilia lui parla avec douceur et voulut la prendre gentiment par le bras. Mais Nell ne fut pas dupe. Elle se jeta sur le côté, les bras en l’air.
Alors frère Murdo s’écria : « Je vois la marque ! Je la vois ! » Quatre des religieuses étaient parvenues à maintenir la folle.
« Inutile de lui retirer ses vêtements ! insistait le frère lai.
Regardez sous son bras droit. » Comme Nell recommençait à se tortiller, il s’avança vers elle et souleva son bras lui-même, le tenant haut au-dessus de sa tête « Là ! » dit-il, en désignant son aisselle.
La foule se tendit en avant. « Je la vois ! » hurla quelqu’un et d’autres reprirent son cri. Caris ne voyait rien, sinon les poils qui poussent habituellement à cet endroit du corps, et elle trouvait indigne d’aller y regarder de plus près. Il était fort possible que Nell ait en effet une tache ou une excroissance sous le bras, mais tant de gens avaient des taches sur la peau, à commencer par les personnes âgées.
L’archidiacre Lloyd rappela la foule à l’ordre. Le sergent de ville y alla de son bâton pour repousser les gens. Quand le silence fut revenu, Richard se leva : « Nell la folle de Kingsbridge, je te déclare coupable d’hérésie. Tu seras attachée à l’arrière d’une charrette et promenée dans les rues de la ville avant d’être conduite à l’embranchement de la croisée au Gibet où tu seras pendue jusqu’à ce que mort s’ensuive. »
La foule salua haut et fort sa sentence. Caris se détourna, emplie de dégoût. Avec de tels juges, aucune femme n’était en sécurité. Son œil se posa sur Merthin, qui attendait patiemment. « C’est bon, dit-elle sur un ton énervé. De quoi s’agit-il ?
— Il ne pleut plus. Descendons à la rivière. »
*
Le prieuré possédait quantité de poneys à l’intention des moines et des religieuses âgés, ainsi que plusieurs carrioles destinées au transport des marchandises. Les écuries de pierre, érigées le long du flanc sud de la cathédrale, accueillaient également les montures des visiteurs nantis. Le crottin de toutes ces bêtes était utilisé comme engrais dans le potager voisin.
Ralph se trouvait devant les écuries avec une partie de l’entourage du comte Roland. Leurs chevaux étaient déjà sellés, prêts à prendre la route pour les deux jours de voyage qui les ramèneraient à Château-le-Comte, près de Shiring, où le suzerain avait sa résidence. Il ne manquait plus que lui.
Tenant par la bride son cheval, un étalon bai du nom de Griff, il conversait avec ses parents. « Je ne m’explique pas pourquoi Stephen a été fait seigneur de Wigleigh et moi rien du tout, alors que nous avons le même âge et qu’il n’est pas meilleur cavalier, bretteur ou jouteur que moi. »
Ralph aurait mieux supporté l’échec si son père n’avait montré une ardeur aussi pathétique à le voir élevé au rang de chevalier. À chacune de leurs rencontres, sieur Gérald lui posait les mêmes questions, le cœur empli d’espoir, et, chaque fois, Ralph lui causait la même déception.
Griff était une jeune monture, utilisée pour la chasse. N’étant qu’écuyer, Ralph ne méritait pas de se voir attribuer un coûteux cheval de bataille. Mais il aimait sa bête et celle-ci répondait avec fougue à ses coups d’éperons. L’activité déployée autour de lui excitait l’animal, impatient de s’élancer. « Doucement, mon beau jeune homme, lui murmura son maître à l’oreille. Bientôt, tu pourras étirer tes jambes. » Au son de la voix de son maître, Griff s’apaisa immédiatement.
« Sois constamment en alerte et prêt à satisfaire les désirs du comte, conseillait sieur Gérald à son fils, et il se rappellera de toi quand il y aura un poste à pourvoir. »
Tout cela, c’était très bien, pensait le jeune homme par-devers lui, mais les vraies occasions survenaient surtout à la guerre. Enfin, il n’était pas impossible qu’elle soit plus proche aujourd’hui qu’elle ne l’était la semaine précédente. La guilde, présumait-il sans avoir assisté aux réunions entre le comte et les lainiers de Kingsbridge, ne devait pas s’être opposée à l’idée de prêter de l’argent au roi Édouard à condition qu’il prenne des mesures radicales à l’encontre de la France en représailles aux attaques des Français contre les ports de la côte méridionale du pays.
Ralph désirait ardemment se distinguer et retrouver le statut perdu par sa famille voilà dix ans. Et cela pas seulement pour son père, mais pour sa propre fierté.
Griff piaffa, jetant la tête en l’air. Pour le calmer, Ralph entreprit de le promener, accompagné par son père. Sa mère resta à l’écart. Le nez cassé de son fils ne laissait pas de l’inquiéter.
Ralph et son père s’avancèrent vers dame Philippa. En prévision de la longue randonnée à venir, celle-ci portait une tenue ajustée qui mettait en valeur sa poitrine pleine et ses longues jambes. Occupée à converser avec son époux, elle tenait sa fougueuse monture par la bride. Ralph était toujours à l’affût d’un prétexte pour lui adresser la parole. Hélas, il n’était jamais que l’un des nombreux membres de l’entourage de son beau-père et elle ne lui adressait pas la parole, à moins d’y être forcée.
En la voyant réprimander le seigneur William d’une petite tape sur la poitrine assortie d’un sourire, Ralph fut empli de ressentiment. Pourquoi n’était-ce pas avec lui qu’elle partageait cet instant d’amusement ? Nul doute qu’il se serait trouvé à la place de William s’il avait été comme lui le seigneur de quarante villages. Mais sa vie n’était qu’une suite de souhaits inassouvis. Quand réaliserait-il enfin quelque-chose ?
Accompagné de son père, il parcourut toute la longueur de la cour. Il s’en revenait lorsqu’il aperçut un moine manchot sortant de la cuisine et traversant la cour. Son air familier le frappa. Il lui fallut un moment pour se rappeler qu’il s’agissait de ce chevalier qui avait tué les deux hommes d’armes dans la forêt, dix ans auparavant, avant d’entrer au monastère. Contrairement à Merthin qui était souvent en rapport avec lui en raison des réparations à effectuer sur les bâtiments du prieuré, Ralph ne l’avait pas revu depuis ce fameux jour. Frère Thomas avait beau se cacher sous une large tonsure et la robe de toile bise des religieux, il avait beau présenter un début de bedaine, il conservait son maintien de guerrier.
« Tiens ! Le moine-mystère ! » lança Ralph sur un ton anodin. Le seigneur William réagit avec brusquerie. « Que veux-tu dire ?
— Je parle de frère Thomas. Il était chevalier autrefois. Personne ne sait pourquoi il est entré au monastère.
— Que diable sais-tu de lui ? » s’écria William d’une voix où transperçait une colère incompréhensible, car Ralph ne s’était nullement montré blessant. Mais peut-être William était-il de méchante humeur malgré les sourires affectueux de sa belle épouse.
Ralph regretta d’avoir entamé la conversation. « Je revois encore le jour où il est arrivé à Kingsbridge », dit-il et il marqua une hésitation, se remémorant le serment qu’il avait prêté dans la forêt avec les autres enfants. L’agacement inexpliqué de William ne l’incitait d’ailleurs pas à en raconter davantage.
« Quand il est arrivé en ville, il perdait son sang à cause d’une sale blessure ; il était à peine capable de marcher. Ce n’est pas un spectacle qu’un petit garçon oublie.
— Comme c’est curieux, intervint Philippa. » Puis, regardant son mari, elle ajouta : « Tu connais l’histoire de ce frère Thomas ?
— Absolument pas ! se défendit William sur un ton cassant.
D’où pourrais-je la connaître ? »
Elle haussa les épaules et s’éloigna.
Ralph reprit sa promenade. « Le seigneur William mentait. Je me demande pourquoi ? chuchota-t-il à son père.
— En tout cas, ne parle plus de ce moine ! lui enjoignit vigoureusement sieur Gérald. À l’évidence, c’est un sujet délicat. »
Enfin le comte Roland apparut. Le prieur Anthony l’accompagnait. Les chevaliers et les écuyers se mirent en selle. Ralph embrassa ses parents et sauta sur son cheval. Griff se mit à piaffer, prêt à s’élancer. Les secousses ravivèrent chez Ralph une douleur atroce, à croire qu’il avait le nez en feu. Il grinça des dents. Que faire, sinon prendre son mal en patience ?
Roland s’avança vers Victoire, une bête à la robe noire avec une tache blanche à hauteur de l’œil. Il ne l’enfourcha pas mais la prit par la bride et se mit à marcher tout en poursuivant sa conversation avec le père prieur.
« Sieur Stephen Wigleigh et Ralph Fitzgerald, partez devant et dégagez le pont ! » ordonna le seigneur William.
Ralph et Stephen s’élancèrent dans le pré. L’herbe était piétinée et la terre boueuse après la foire. Des commerçants continuaient à vaquer à leurs affaires, mais la plupart étaient en train de fermer boutique et un grand nombre d’étals étaient déjà démontés. Les deux cavaliers franchirent les portes du prieuré et descendirent la grand-rue au pas agile de leurs chevaux.
Devant l’auberge de La Cloche, Ralph aperçut le garçon qui lui avait cassé le nez. Wulfric, il s’appelait, et il venait de Wigleigh, le village dont Stephen était le seigneur. Tout le côté gauche de son visage était gonflé et tuméfié, là où Ralph l’avait frappé. Il se tenait en compagnie de son père, de sa mère et de son frère. Visiblement, la famille s’apprêtait à prendre la route.
Mieux vaut pour toi ne jamais croiser à nouveau mon chemin ! pensa Ralph, tout en cherchant une insulte à lui lancer. Mais un brouhaha de rires et de cris attira son attention. Une foule était rassemblée en contrebas, à mi-chemin du pont. Ils durent s’arrêter.
Devant eux, leur tournant le dos, plusieurs centaines d’hommes, de femmes et d’enfants leur bloquaient la voie, se bousculant pour mieux voir. Ralph regarda par-dessus leurs têtes.
Ce cortège indiscipliné avançait à la suite d’un char à bœuf, derrière lequel trébuchait une silhouette à demi nue. Le châtiment consistant à être flagellé dans les rues était un spectacle courant. La personne en train de le subir était une femme vêtue en tout et pour tout d’une grossière jupe de laine retenue à la taille par une corde. Son visage était à ce point noir de crasse et ses cheveux si répugnants qu’à première vue on l’aurait prise pour une vieille. Mais ses seins étaient ceux d’une jeune fille de vingt ans.
Une même corde ligotait ses mains et l’attachait à l’arrière du chariot, entravant sa marche, de sorte qu’elle s’écroulait parfois dans la boue et se retrouvait traînée alors sur plusieurs pas le temps de se remettre sur ses jambes. Un sergent de ville la suivait de près, fouettant vigoureusement son dos nu à l’aide d’un de ces bâtons munis d’une lanière en cuir qu’on utilise pour conduire les bœufs.
La foule, menée par une poignée d’hommes jeunes, invectivait la condamnée, la couvrait d’insultes et lui lançait en riant des poignées de boue et d’ordures. Elle leur répondait par des imprécations qui les enchantaient et crachait sur quiconque l’approchait de trop près.
Ralph et Stephen poussèrent leurs chevaux au cœur de la foule. « Faites place au comte, hurla Ralph en s’époumonant. Dégagez la voie ! »
Ses cris furent repris par Stephen. Personne n’y prêtait attention.
*
Au sud du prieuré, un terrain escarpé descendait jusqu’à la rivière. La berge, bordée de rochers, ne permettait pas aux radeaux et aux barges d’accoster, si bien que leur chargement s’effectuait sur l’autre rive, dans le hameau de Villeneuve, où des embarcadères d’accès facile avaient été aménagés. La rive nord était donc tranquille et couverte de buissons en fleurs en cette période de l’année. C’était là que Merthin et Caris avaient choisi de se rendre.
Juchés sur un escarpement, ils regardaient couler la rivière gonflée par la pluie. Merthin remarqua que le courant était plus fort que de coutume, et il nota aussi que le chenal était plus étroit qu’autrefois. Quand il était enfant, la rive sud offrait sur presque toute sa longueur l’aspect d’une vaste plage marécageuse. En ce temps-là, il avait souvent traversé la rivière en se laissant flotter sur le dos. Mais ces quais nouvellement construits, protégés des inondations par des digues en pierre, canalisaient la même quantité d’eau dans un couloir plus étroit, et le flot s’en trouvait accéléré, comme si l’eau se hâtait de passer le pont pour retrouver son ampleur et ralentir sa course à proximité de l’île aux lépreux.
« J’ai commis une chose affreuse », dit Merthin. De découvrir Caris si belle aujourd’hui le désespérait. Dans sa robe de toile grenat qui rosissait son teint, la jeune fille était éblouissante et pleine de vie. La façon dont s’était déroulé le procès l’avait fâchée, et son inquiétude pour Nell la folle lui donnait une expression vulnérable qui déchirait le cœur de Merthin. Elle s’était forcément rendu compte qu’il avait évité de croiser son regard tout au long de la semaine et elle avait dû imaginer des choses épouvantables. Mais tout ce qui avait pu lui venir à l’esprit était certainement bien moins affreux que ce qu’il avait à lui dire maintenant.
Il n’avait soufflé mot à personne de sa dispute avec Griselda, maître Elfric et Alice. Personne n’était même au courant que son patron avait brisé son œuvre. Malgré sa peine immense, il s’était interdit d’en discuter avec qui que ce soit. Sa mère l’aurait critiqué et son père lui aurait seulement enjoint de se conduire en homme. Il aurait pu se confier à Ralph, mais une froideur s’était installée entre eux depuis la bagarre avec le paysan. Merthin considérait que Ralph s’était comporté en tyran et celui-ci en était conscient.
À l’idée d’avouer la vérité à Caris, le jeune homme était terrifié au point de se demander d’où lui venait son effroi. Car, en fait, il n’avait pas peur de sa réaction. Au pire, elle l’écraserait de son mépris – et, dans ce domaine, elle savait y faire. Mais les reproches qu’elle lui adresserait ne seraient jamais plus amers que ceux qu’il s’adressait à lui-même.
En réalité, ce qu’il craignait, comprenait-il soudain, c’était de la blesser. Affronter sa colère, oui. Sa douleur ? Il n’y parviendrait pas.
Elle lui demanda : « Tu m’aimes toujours ? »
Il ne s’attendait pas à cette question, mais répondit oui sans hésitation.
« Moi aussi, je t’aime. Tout le reste n’est qu’un problème que nous pouvons résoudre ensemble. »
Si seulement elle pouvait avoir raison ! se dit-il. Il le souhaitait tant que les larmes lui vinrent aux yeux et il détourna le regard pour qu’elle ne s’en aperçoive pas. C’est ainsi qu’il remarqua sur le pont la foule marchant derrière le chariot qui avançait lentement. Il devait s’agir de Nell la folle, condamnée à être fouettée tout au long du chemin jusqu’à la croisée au Gibet, dans le hameau de Villeneuve. Le pont était déjà encombré par les charrettes des marchands rentrant chez eux après la foire et la circulation était quasiment arrêtée.
« Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu pleures ? s’inquiéta Caris.
— J’ai couché avec Griselda », répliqua brutalement Merthin.
Caris en resta bouche bée. « Avec Griselda ? Répéta-t-elle, incrédule.
— J’ai tellement honte !
— Je croyais que c’était avec Élisabeth Leclerc.
— Elle est trop fière pour ça.
— Ah ? Parce que tu l’aurais fait aussi si elle te l’avait proposé ? » s’enquit Caris.
Sa réaction l’étonna. « Ce n’est pas ce que je voulais dire !
— Griselda ! Sainte Marie Mère de Dieu ! j’aurais pensé que je valais mieux que ça.
— Mais tu le vaux !
— Cette lupa, dit-elle, utilisant le mot latin qui signifiait « putain ».
— Je ne peux même pas la supporter, cette fille, et j’ai détesté ça.
— C’est censé me rendre la chose plus agréable ? Dois je en déduire que tu aurais été moins désolé si ça t’avait plu ?
— Bien sûr que non ! s’écria Merthin, consterné de voir Caris interpréter de travers tout ce qu’il disait.
— Qu’est-ce qui t’a pris ?
— Elle pleurait.
— Oh, pour l’amour du ciel ! Tu fais ça avec toutes les filles qui pleurent devant toi ?
— Mais non ! J’essayais seulement de t’expliquer comment ça s’est passé. Sans vraiment que je le veuille. »
Mais cela ne fit qu’augmenter le mépris de Caris. « Ne dis pas de bêtises, riposta-t-elle. Si c’est arrivé, c’est parce que tu l’as bien voulu.
— Écoute-moi, je t’en prie, dit-il, agacé. C’est elle qui a insisté. J’ai refusé. Elle s’est mise à pleurer. Je l’ai entourée de mon bras pour la réconforter et...
— Épargne-moi ces détails écœurants, je n’ai pas envie de les connaître. »
L’irritation commençait à le gagner. Il avait mal agi, certes, et méritait qu’elle soit fâchée, mais il ne s’attendait pas à un mépris aussi cinglant. « Très bien », lâcha-t-il, et il se renferma.
Mais Caris n’avait pas envie qu’il se taise. Le regardant bien en face, elle demanda d’un air bougon : « Quoi d’autre ? »
Il haussa les épaules. « À quoi ça sert que je parle ? Tu accueilles par le mépris tout ce que je dis.
— Je n’ai pas envie d’entendre des excuses pathétiques. Mais je sens bien que tu ne m’as pas tout avoué. »
Il soupira. « Elle est enceinte. »
Une fois de plus, la réaction de Caris le surprit. Toute colère la quitta. Son visage, jusqu’alors crispé d’indignation, s’effondra. Seule demeura sa tristesse. « Un bébé ! Griselda va avoir un bébé de toi.
— Ça n’arrivera peut-être pas. Parfois...»
Caris secoua la tête. « Griselda est en bonne santé et mange à sa faim. Il n’y a aucune raison pour qu’elle fasse une fausse couche.
— Non pas que je le souhaite, dit-il sans le penser véritablement.
— Qu’est-ce que tu vas faire ? Ce sera ton enfant, tu l’aimeras, même si tu détestes sa mère.
— Je vais devoir l’épouser. »
Caris s’ébahit. « Te marier ! Mais ce sera pour toujours !
— J’ai fait un enfant, je dois en prendre soin.
— Et passer ta vie entière avec Griselda ?
— Je sais.
— Non, tu n’es pas obligé ! lâcha-t-elle avec détermination.
Prends Élisabeth Leclerc : son père n’a jamais épousé sa mère !
— Il était évêque.
— Et Maud Roberts, de la rue de l’Abattoir. Elle a trois enfants et pas de mari. Et tout le monde sait que leur père, c’est Édouard le Boucher.
— Il est marié et il a déjà quatre enfants avec sa femme.
— Ce que je veux dire, c’est qu’on ne force pas toujours les gens à se marier. Tu peux continuer à vivre comme maintenant.
— Non, c’est impossible. Elfric me flanquerait à la porte. » Elle demeura pensive. « Autrement dit, tu as déjà parlé à Elfric ?
— Parlé ? s’exclama Merthin en portant la main à sa joue meurtrie. J’ai cru qu’il allait me tuer.
— Et sa femme, ma sœur ?
— Elle m’a crié dessus.
— Donc elle sait.
— Oui. C’est elle qui a dit que je devais épouser Griselda. De toute façon, elle n’a jamais voulu que je sois avec toi, je ne sais pas pourquoi.
— Parce qu’elle te voulait pour elle-même », murmura Caris. Merthin tomba des nues. Que la fière Alice puisse être attirée par un modeste apprenti lui semblait incroyable. « Elle ne me l’a jamais montré.
— Parce que tu ne l’as jamais regardée avec attention. C’est pour ça qu’elle s’énerve tellement contre toi. Elle a épousé Elfric par dépit. Tu as brisé le cœur de ma sœur et, à présent, tu brises le mien. »
Merthin détourna les yeux. Il avait quelque difficulté à se voir en séducteur. À quel moment les choses étaient-elles allées de travers ?
Caris s’était enfermée dans le silence. Il continua à regarder couler l’eau d’un air abattu. Son regard suivit le cours de la rivière jusqu’au pont.
La foule s’était immobilisée, semblait-il. Une carriole lourdement chargée de sacs de laine bloquait la sortie du pont, au sud. Une roue cassée, probablement. La charrette à laquelle Nell était attachée s’était arrêtée aussi, ne pouvant doubler l’autre. La foule entourait les deux attelages, plusieurs personnes avaient escaladé les sacs de laine pour avoir une meilleure vue de la situation. Côté Kingsbridge, le comte Roland et sa suite tentaient vainement de franchir le pont, mais il était bien difficile de repousser les piétons. Merthin repéra son frère Ralph à son cheval brun à crinière et queue noires, ainsi que le prieur Anthony. Venu selon toute évidence faire ses adieux, le père abbé se tordait les mains avec inquiétude en voyant les hommes de Roland pousser de force leurs montures dans la foule pour dégager un passage.
La sensation d’un danger imminent s’empara de Merthin. Il y avait quelque chose d’anormal, il en était certain. Mais quoi ? Il n’aurait su le dire. Il scruta le pont plus attentivement. Le lundi d’avant, il avait remarqué que les massives poutrelles de chêne reliant les piles l’une à l’autre sur toute la longueur du pont, côté amont de la rivière, avaient été renforcées à l’aide de plaques de fer là où il y avait des fissures. N’ayant pas pris part à ce travail de réhabilitation, il n’avait pas examiné les réparations très attentivement. Il s’était surtout interrogé sur ce qui pouvait être à l’origine de ces fissures. Car elles ne se trouvaient pas à mi-longueur entre les piles, comme cela aurait été le cas si le bois s’était simplement détérioré avec l’âge, elles étaient situées près du pilier central, là où l’usure aurait dû être moindre.
Accablé par les soucis, il n’y avait pas repensé depuis lundi, mais en cet instant, en regardant le pont, il avait subitement l’impression que le pilier central tirait les poutres vers le bas au lieu de les soutenir ! Autrement dit, le problème concernait les fondations. À peine cette pensée se forma-t-elle dans son esprit qu’il comprit la cause du désordre : en fait, le flot accéléré des eaux de la rivière creusait le lit en dessous du pilier.
Il se revit enfant, au bord de la mer, barbotant près du bord et regardant les vagues descendantes emporter le sable de dessous ses orteils. Ce genre de phénomène le fascinait depuis toujours.
Si le lit se creusait, alors le pilier central n’était plus soutenu par rien. Il était uniquement retenu par le tablier du pont, ce qui expliquait que les poutres se soient fissurées. Et les croisillons de fer apposés par Elfric n’avaient servi à rien. Ils avaient même pu aggraver le problème en empêchant le pont de se stabiliser dans une autre position.
A priori, l’autre pile de cette paire centrale, en aval du courant, devait encore reposer sur des fondations solides, se dit-il, car de ce côté-ci le courant était moins fort. Un seul pilier était donc endommagé. Le reste de la structure semblait suffisamment solide pour maintenir le pont en place – du moins, tant qu’il n’était pas soumis à une contrainte extraordinaire.
Or, les fissures semblaient plus larges aujourd’hui qu’au début de la semaine. Cela n’avait rien de surprenant, compte tenu des centaines de gens rassemblés sur ce pont, charge bien supérieure à celle que l’ouvrage supportait habituellement. Et il y avait aussi cette charrette lourdement chargée de sacs de laine, et encore alourdie par les vingt ou trente personnes juchées à leur sommet.
Le pont n’allait pas supporter longtemps un tel poids !
La crainte au cœur, Merthin devinait vaguement que Caris lui parlait, mais il n’entendait rien de son discours. Elle finit par hausser le ton : « Tu ne m’écoutes même pas !
— Il va y avoir une catastrophe !
— Que veux-tu dire ?
— Tous ces gens doivent quitter le pont dans l’instant !
— Tu penses comme ils vont t’écouter ! Ils s’amusent bien trop à tourmenter Nell. Le comte Roland lui-même n’arrive pas à les déloger.
— Je crois que le pont risque de s’effondrer.
— Oh, regarde ! s’écria Caris en désignant la forêt. Tu vois, il ya quelqu’un qui court le long de la route vers le pont ? »
Quel intérêt ? se demanda Merthin, mais il tourna quand même la tête dans la direction indiquée. Et, de fait, une jeune femme courait à perdre haleine, cheveux au vent.
« C’est Gwenda ! On dirait qu’elle fuit quelqu’un ! » s’écria Caris.
Un homme était bien lancé à sa poursuite, un homme en tunique jaune.
*
Jamais, de toute sa vie, Gwenda n’avait connu fatigue plus grande.
Le moyen le plus efficace de couvrir une longue distance, elle le savait, consistait à passer de la marche à la course tous les vingt pas et inversement. Elle avait commencé à pratiquer cette méthode dans la matinée, quand elle avait repéré Sim à une demi-lieue derrière elle. Pendant un moment, elle était parvenue à maintenir la distance entre eux. Mais quand la route lui avait à nouveau permis de voir au loin, elle avait pu se convaincre qu’il avait adopté une allure identique, alternant marche et course. Les lieues s’additionnaient, les heures se succédaient et le colporteur gagnait toujours plus de terrain. Vers le milieu de la matinée, elle avait compris qu’à ce rythme, il l’aurait rattrapée bien avant qu’elle ait atteint Kingsbridge.
Ne sachant que faire, elle s’était enfoncée dans les bois, veillant à ne pas trop s’écarter de la route, de peur de s’égarer. Plus tard, elle avait entendu le bruit d’une course et d’une respiration essoufflée. Glissant un œil à travers les broussailles, elle avait vu Sim passer devant elle. Elle savait que, lorsqu’il arriverait à une portion de route suffisamment dégagée et ne la verrait plus, il se douterait qu’elle s’était cachée dans les bois. Une heure plus tard, comme prévu, elle l’avait vu revenir sur ses pas.
Elle avait continué à marcher dans la forêt, s’arrêtant toutes les deux ou trois minutes pour tendre l’oreille, persuadée qu’il se mettrait bientôt à fouiller les sous-bois des deux côtés de la route, car cela faisait maintenant un bon moment qu’il ne la voyait plus. Elle avançait lentement, obligée qu’elle était de frayer son chemin dans les broussailles en pleine floraison du bord de la route pour ne pas risquer de se perdre.
Enfin, le bruit indistinct d’une foule lui parvint. La ville ne devait plus être très loin. Elle se réjouit. Finalement, elle aurait réussi à s’échapper. Se risquant tout au bord du chemin, elle tendit précautionneusement la tête, à demi cachée derrière un buisson. La voie était libre dans les deux sens et on apercevait au nord la tour de la cathédrale à un quart de mille.
Elle était presque rendue.
Elle perçut un aboiement familier et Skip émergea des taillis.
Les larmes aux yeux, elle se pencha pour le caresser. Il bondit joyeusement autour d’elle, lui léchant les mains.
Sim n’étant pas en vue, elle s’aventura sur la route et, malgré son épuisement, reprit sa cadence de vingt pas de marche et vingt pas de course. Skip trottait à ses côtés, persuadé qu’il s’agissait d’un nouveau jeu. Chaque fois qu’elle changeait de rythme, elle jetait un regard par-dessus son épaule. La troisième fois, elle aperçut Sim.
Il n’était qu’à quelques centaines de pas.
Le désespoir s’abattit sur elle, tel un raz-de-marée. Elle aurait voulu se coucher et mourir. Mais elle avait atteint le hameau de Villeneuve, le pont était à moins d’un quart de mille. Elle se força à continuer.
Elle tenta de courir plus longtemps, mais ses jambes ne lui obéissaient plus. Un petit trot, voilà tout ce qu’elle était capable d’accomplir. Ses pieds la faisaient souffrir. Baissant les yeux sur ses chaussures, elle vit que ses semelles éculées étaient tachées de sang.
Comme elle arrivait à la croisée au Gibet, elle aperçut devant elle une foule immense sur le pont. Tout le monde regardait dans la même direction ! Pas une âme pour lui prêter attention alors qu’elle courait pour échapper à Sim, pour avoir la vie sauve !
Pour seul moyen de défense, elle n’avait que son canif, tout juste bon à découper un lièvre cuit au four. Autant dire qu’elle était désarmée.
La route était bordée sur un côté par de petites cahutes habitées par des gens trop pauvres pour s’établir en ville, sur l’autre par un pré appelé le Champ des amoureux, qui appartenait au prieuré. Sim était à présent si proche d’elle qu’elle entendait sa respiration saccadée et sifflante comme la sienne. La terreur lui insuffla un dernier sursaut de force. Skip se mit à aboyer – aboiements plus craintifs qu’agressifs : il n’avait pas oublié la pierre reçue sur le museau.
Le terrain aux abords du pont était une vaste étendue de boue collante retournée par des milliers de bottes, de sabots et de roues. Gwenda s’y élança, mue par l’espoir que Sim, plus lourd qu’elle, s’enfoncerait davantage dans ce bourbier.
Enfin elle atteignit le pont. La foule était moins dense de ce côté-ci. Tout le monde lui tournait le dos, les yeux rivés sur une charrette chargée de sacs de laine qui bloquait le passage à une carriole tirée par un bœuf. Gwenda devait à tout prix arriver à la maison de Caris. Elle la voyait presque, en haut de la grand-rue. « Laissez-moi passer ! » hurla-t-elle, accompagnant ses cris de grands coups d’épaule dans la foule. Une seule personne tourna la tête : Philémon ! Il ouvrit la bouche, frappé de stupeur. Pris de panique, il tenta d’avancer vers elle, mais la foule lui opposait la même résistance qu’à sa sœur.
Gwenda tenta de se faufiler le long des deux bœufs attelés à la charrette de laine, mais l’un d’eux projeta sa tête massive sur le côté et l’envoya bouler. Elle perdit pied. Au même instant, une main puissante la rattrapa par le bras. Elle sut alors qu’elle avait échoué.
« Je te tiens, salope ! » éructa Sim, hors d’haleine. L’attirant vers lui, il la frappa de toutes ses forces en pleine figure. Elle n’avait plus la force de résister. Skip aboyait en vain aux pieds du colporteur. « Tu ne m’échapperas plus », dit-il.
Elle fut anéantie. Séduire Alwyn, le tuer, parcourir des milles au pas de course, tout cela n’avait servi à rien. Elle était revenue à son point de départ, prisonnière de Sim.
Et soudain, le pont vacilla.